Le Tribunal de Grande Instance de Paris accorde à la société LBC France, exploitante du site de petites annonces leboncoin, la protection accordée aux producteurs de base de données Le site entreparticuliers.com est un site payant de petites annonces principalement dans le domaine immobilier. Créé dans les années 2000, ce site se présente comme « le 1er site d’annonces collaboratif entre particuliers sur internet pour vendre un appartement ou un terrain, louer une maison ou une villa à l’années ou pour les vacances (…) ».
Toutefois, rapidement concurrencé par le site leboncoin créé en 2006, dont la gratuité, la facilité d’utilisation, et la classification extrêmement détaillée lui ont permis d’atteindre un volume d’annonces inégalé de 800.000 nouvelles annonces par jour et 28 millions d’annonces actuellement publiées, le site entreparticuliers.com a dû mettre en place de nouvelles stratégies pour alimenter son site et sa base de données de nouveau contenu.
C’est ainsi que la société entreparticuliers.com a souscrit auprès de la société DIRECTANNONCES un service de piges immobilières lui permettant de recevoir, quotidiennement, sur sa base de données toutes les nouvelles annonces immobilières de vente publiées par les particuliers sur toute la France.
Ce faisant, le site Entreparticuliers.com a repris pendant plusieurs années, et de manière exponentielle fin 2016 et début 2017, les annonces immobilières parues sur le site leboncoin, sans l’autorisation ni de la société LBC France, l’exploitant du site leboncoin, ni des annonceurs.
Après plusieurs mises en demeure restées infructueuses, et afin de faire cesser ces extractions et réutilisations illicites de contenu devenues de plus en plus massives, et donc préjudiciables à son activité, la société LBC France a assigné à jour fixe la société ENTREPARTICULIERS.COM devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Dans un jugement très motivé daté du 1er septembre 2017, le Tribunal de Grande Instance de Paris a reconnu que :
(i) le site leboncoin, publiant plus de 800.000 nouvelles annonces par jour, constitue une base de données non seulement par « son architecture élaborée de classement des données collectées » mais également par son « modèle innovant de proximité et sa simplicité d’utilisation » ;
(ii) la société LBC France, exploitante du site leboncoin, a la qualité de producteur de base de données au vu des investissements colossaux consacrés à la collecte et à l’organisation des données « et non à leur création qui est du fait de l’annonceur » ;
(iii) les extractions et réutilisations répétées et systématiques de parties qualitativement et quantitativement non substantielles du contenu paru sur le site leboncoin par la société entreparticuliers.com excèdent manifestement les conditions d’utilisation normale de la base de données au sens de l’article L.342-2 du code de la propriété intellectuelle et constituent donc des atteintes aux droits sui generis de LBC France qui justifient une interdiction et une condamnation à 40.000 euros de dommages et intérêts.
Ce jugement est capital pour les exploitants de portails de petites annonces en ce qu’il reconnaît la possibilité de leur accorder la qualité de producteur de base de données. Jusqu’alors, la jurisprudence de la Cour de cassation avait laissé cette question en suspens en estimant qu’il appartenait aux juges du fond de préciser si « les investissements liés à la collecte des données et à leur diffusion (…), relevaient de la création des éléments constitutifs du contenu de sa base et ne devaient donc pas être pris en considération ou si, au contraire, ils faisaient partie des investissements « spécifiques » dont la société Pressimmo devait rapporter la preuve pour justifier la protection qu’elle sollicitait (Cass. Civ 1ère, 12 novembre 2015, n°14-14501, Pressimmo c/ Yakaz).
Depuis la présente affaire, cette question est désormais tranchée, le Tribunal de Grande Instance de Paris ayant considéré que les investissements réalisés par LBC France pour la collecte, l’organisation, et la vérification a posteriori des données ne relevaient pas des investissements liés à la création, mais bien des investissements liés à la constitution, la vérification et la présentation des données permettant d’invoquer la qualité de producteur de base de données.
Sur l’extraction et la réutilisation des données, le Tribunal de Grande Instance aurait pu aller plus loin.
En effet, la reprise à l’identique des annonces immobilières de vente – se composant d’une photographie, d’un descriptif du bien et, le cas échéant, des coordonnées du vendeur – n’est pas anodine et constitue bien une extraction et une réutilisation d’une partie qualitativement substantielle de la base de données du boncoin.
De fait, d’un point de vue qualitatif, les recherches immobilières constituent le point d’entrée le plus fréquent des internautes en matière de petites annonces :
– sur les 26 millions de visiteurs uniques qui utilisent mensuellement le site leboncoin, 10 millions consultent les annonces immobilières ;
– par ailleurs, 9 internautes sur 10 consulteront un portail de petites annonces immobilières dans le cadre de leur recherche de bien immobilier.
Dès lors, en reproduisant les annonces immobilières à l’identique et en mettant directement à la disposition des internautes le contenu de ces annonces immobilières et en leur offrant la possibilité de les explorer en temps réel, le site entreparticuliers.com capte non seulement des revenus liés à l’activité de l’opérateur de ce service mais aussi de la clientèle qui, si aucune offre ne l’intéresse, ne consultera pas le site leboncoin « dont la base de données aura néanmoins été utilisée » (TGI PARIS Chambre 3 section 1, 5 septembre 2001, Jurisdata : 2001-161802, Cadremploi c/ Keljob).
En ce sens, le Tribunal de Grande Instance de Paris aurait pu considérer qu’en reproduisant les annonces immobilières parues sur le site leboncoin, le site entreparticuliers.com a réutilisé à son profit une partie qualitativement substantielle de la base du site leboncoin.
Ce point sera certainement largement débattu en cause d’appel.
En l’état, la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris n’en reste pas moins une excellente décision, juridiquement fondée, et rendue nécessaire par l’évolution de la concurrence dans le secteur des petites annonces en ligne.
Cabinet Solwos Avocats
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